Vienne, 1800. La capitale autrichienne est alors le cœur battant de la vie musicale européenne, attirant les plus grands compositeurs et interprètes du continent. C’est dans cette atmosphère effervescente que va se jouer un duel musical resté célèbre : la confrontation entre Ludwig van Beethoven et Daniel Steibelt, deux pianistes virtuoses en quête de gloire et de reconnaissance.
Beethoven, âgé de 29 ans, est déjà un compositeur respecté, mais c’est surtout son talent d’improvisateur qui fait sa renommée. Steibelt, de huit ans son aîné, est un compositeur reconnu, célèbre pour ses pièces pour piano. Les deux hommes se connaissent et s’apprécient peu. Quand le comte von Fries, mécène influent, les invite à participer à une soirée musicale, la scène est prête pour un affrontement en bonne et due forme.
Steibelt joue en premier. Pour impressionner l’auditoire, il improvise sur un thème tiré d’un trio de Beethoven, une manière de défier le jeune prodige sur son propre terrain. Son improvisation est brillante, virtuose et soulève l’enthousiasme du public. Beethoven, piqué au vif, se lance à son tour dans l’arène. Il s’empare d’une partition de Steibelt, la pose à l’envers sur le pupitre et improvise avec brio sur la musique de son rival. Le public est subjugué, Steibelt humilié. Il quitte la salle avant la fin de la performance, s’avouant vaincu.
Cette victoire éclatante marque un tournant dans la carrière de Beethoven. Sa réputation de pianiste hors pair est désormais établie et son talent d’improvisateur n’est plus à prouver. Pour Steibelt en revanche, c’est le début d’un déclin. Blessé dans son orgueil, il quitte peu après Vienne pour ne plus jamais croiser le chemin de son rival. L’anecdote, colportée dans les salons, devient rapidement légendaire. Elle sera racontée et embellie par les biographes, érigée en symbole du génie indomptable de Beethoven.
Anecdote véridique ou fable ?
Mais cette histoire, pour séduisante qu’elle soit, est-elle entièrement véridique ? Les témoignages de l’époque sont contradictoires. Certains contemporains doutent de la véracité de l’épisode, d’autres en donnent des versions différentes. Il est difficile de démêler le vrai du faux, tant cette anecdote participe à la construction du mythe beethovénien. Comme souvent avec les grands artistes, la légende se mêle à la réalité, la fiction embellit les faits.
Pourtant, au-delà de sa véracité historique, cette histoire reste fascinante par ce qu’elle révèle du monde musical viennois au début du XIXe siècle. Un monde où le talent est une arme, où la réputation se gagne et se défend sur le champ de bataille des salons et des concerts. Un monde où les rivalités artistiques se règlent au clavier, à coups d’improvisations virtuoses et de prouesses techniques. Un monde, enfin, où naît le mythe romantique du génie solitaire et incompris, dont Beethoven sera l’incarnation ultime.
Ce duel musical, réel ou fantasmé, est donc bien plus qu’une anecdote pittoresque. C’est un moment clé dans la construction de la figure de Beethoven, un épisode fondateur qui cristallise son image de titan indomptable, de force de la nature créatrice. C’est aussi le symbole d’une époque, d’un milieu, d’une façon de vivre et de concevoir la musique. Une époque révolue, mais qui continue de nous fasciner par ses excès, ses passions, son effervescence créatrice.
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